Travailler avec la data, une démarche tout sauf anodine sur l’organisation

Avis d’expert par Gilles KNOERY, Président de DIGORA

Si l’on s’interroge principalement sur la meilleure façon de valoriser sa donnée, l’on devrait d’abord questionner sa stratégie d’entreprise, ses objectifs de croissance et de plus en plus ses contraintes, internes comme externes, présentes et à venir. Ce sont les réponses obtenues, lesquelles peuvent réserver quelques surprises, qui détermineront la marche à suivre.

Par quel bout prendre la data ?

Les organisations publiques comme privées, savent-elles travailler avec leurs données ? Le paysage est disparate, c’est le moins que l’on puisse dire. La pelote data semble bien intriquée, le fil sur lequel tirer n’apparaît pas aisément, l’immobilisme ou, à l’inverse, les projets avortés, menacent.

Pourtant, le doute n’existe plus. Tous les secteurs ont besoin de mieux connaître leur client final (ou les attentes des administrés), de projeter sur 3 à 5 ans leurs axes de croissance, de développer de nouveaux services, et tout cela suppose de collecter, traiter, analyser et exploiter la donnée.

Et parce qu’il n’y a plus aucun doute sur l’intérêt de la démarche, les entreprises tentent l’expérience et lancent quelques initiatives, pas toujours heureuses ou suivies d’effet. Comme s’il manquait à la réflexion quelque chose de fondamental, le liant indispensable pour que la sauce prenne.

Et le problème se présente, quel que soit le bout par lequel on entend prendre le sujet : se doter de nombreux outils d’analyse, construire un datalake, monter une équipe de datascientists chevronnés, etc., ne conduit pas souvent au résultat espéré. Le datalake reste désespérément vide, l’équipe d’analystes ne parvient ni à se faire entendre ni à se faire comprendre, les budgets IT sont grevés.

Guidé par la donnée ou par l’urgence perçue ?

Puisque la donnée est stratégique par nature, elle devrait en toute logique répondre en miroir à la stratégie d’entreprise. Première surprise, les entreprises n’en sont pas toujours dotées. Elles produisent et vendent sans nécessairement projeter d’intentions à moyen et long terme. Or, sans stratégie d’entreprise, il est évidemment illusoire de vouloir construire une stratégie data, les deux étant intimement liées.

Quant à toutes celles en disposant, peu d’entre elles prennent vraiment le temps d’aligner leur stratégie data dessus. C’est assez compréhensible cela dit. Le sujet est préempté par des technologues et se montre passablement aride. Sans oublier une certaine pression de faire, qui pèse plus que l’on imagine sur les épaules des dirigeants. Ajoutons à tout cela des initiatives du secteur public dont la pertinence peut interroger, telles que des diagnostics IA à destination de structures peu ou pas équipées en IT ou étouffées par leur dette technique. Il n’y a pas de mauvais outils sur le principe. Il y a en revanche, très certainement, de mauvais timings.

Comment puis-je valoriser mes données ?

Voilà la question qui revient le plus souvent dans les discussions préliminaires. Elle arrive pourtant bien trop tôt. Avant elle, de multiples considérations interviennent.

Que cherche-t-on ? S’il s’agit d’améliorer la qualité (des produits comme des processus), cela n’a pas de sens d’étudier des solutions de collecte de données si la donnée n’existe pas. Aussi puissant soit-il, un CRM comme SAP par exemple ne donnera jamais plus que ce pour quoi il a été conçu.

Le propos alors conduit à interroger la donnée disponible. De nombreuses structures partent du principe qu’elles disposent de datas en suffisance, ce qui n’est pas si souvent le cas. Les bases de données exploitées représentent en général d’infimes volumes. Et beaucoup n’apportent pas la donnée utile à la problématique soulevée.

D’un autre côté, il y a toutes celles qui réalisent combien elles ont d’or entre les mains. Mais il reste encore tout à faire quand l’alignement stratégique n’existe pas. Ainsi l’on peut avoir tous les capteurs utiles, réaliser toutes les collectes importantes sans toutefois tirer la moindre quintessence de cette information.

Pour cela, il ne suffit pas de convaincre le directeur général, ni seulement le DSI. L’entreprise qui veut créer une stratégie data driven doit aussi savoir convaincre ses collaborateurs. Parce qu’en fin de compte, assurer la pérennité d’une structure en la pilotant par la data, c’est confier à ses salariés le soin d’en maîtriser les concepts.

Les métiers doivent-ils contribuer à la stratégie data ?

La réponse courte est évidemment oui. Les sujets émergent toujours des problématiques métiers, ce pour quoi cantonner la réflexion au niveau des comités exécutifs contribue à étouffer l’initiative.

Mais alors que depuis 30 ans l’on exhorte les entreprises à casser les silos, il n’y a rien de plus résistant que les barrières que l’on dresse entre les collaborateurs. Pourtant, qui doit comprendre les notions de référentiel et de gouvernance ? Qui doit mettre au cœur de sa pratique le partage de l’information, si ce n’est celui qui en est le plus souvent à l’origine ?

Un exemple dont on pourrait s’inspirer serait celui de l’Université de Strasbourg. Un Master Data y est ouvert à tous les étudiants, quelle que soit la faculté dont ils relèvent. Ainsi, l’égyptologue y côtoie le mathématicien, le sociologue, le juriste ou encore le manager. Ce socle data partagé doit maintenant donner lieu à un hôtel de la donnée, incarnant ces multiples recoupements et cette envie de partager l’information, à travers des laboratoires d’analyses de données.

C’est une organisation très particulière, aussi ouverte que possible, qu’on ne rencontre pas vraiment en entreprise, malgré la démocratisation des openspaces. L’exploitation de la donnée est un sujet éminemment humain, et exige de la formation et de l’accompagnement. Sans quoi, les datascientists incompris continueront de travailler isolément et les datalakes mal connectés de tourner à vide.

Qu’en pense le secteur de l’IT ?

Les professionnels de l’IT constatent tous les jours le flou artistique dans lequel les entreprises évoluent en matière de datas. Il n’existe d’ailleurs pas réellement de parole commune sur le sujet, tant est large la constellation de spécialités à laquelle il fait appel. Cela dit, les choses tendent à bouger, au niveau de NUMEUM notamment, l’un des syndicats professionnels français de l’industrie du numérique. En mettant sur pied un Comité Data dans la région Grand Est, son objectif est de sensibiliser, mobiliser, accompagner et partager des retours d’expérience d’organisations utiles.

Le fait est que les entreprises ne réussiront pas leur transformation data sans une structuration efficace de la filière IT. Elles ont autant besoin d’être aidées pour définir leur stratégie socle que de savoir-faire Cloud, stockage, bases de données, sécurité, tout comme, à l’autre bout du spectre, de compétences en droit, voire en sociologie des organisations.

Cette réunion des compétences est d’autant plus urgente que la donnée demain n’aura plus pour seul objet d’aider l’entreprise à dégager de nouveaux axes de croissance. L’énergie pénurique, le réchauffement climatique, les attentes très fortes des citoyens sur les efforts à fournir requièrent dès maintenant de mieux exploiter la donnée pour trouver de nouvelles pistes de résilience.